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Des diasporas sommées de se mettre au garde-à-vous

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Le dernier rapport mondial de Human Rights Watch jette un coup de projecteur cru sur la Chine, non seulement sur son système de répression interne mais aussi sur l’extension de son emprise autoritaire aux Chinois vivant à l’étranger. Dans de nombreux pays, de l’Australie au Canada, les exemples se succèdent de pressions et d’intimidations à l’égard, en particulier, des étudiants chinois expatriés. Plusieurs universités européennes et nord-américaines se sont inquiétées de cette ingérence. L’année dernière, le Citizen Lab de l’Université de Toronto a également relevé des cyber-attaques « d’origine chinoise » visant des Tibétains et des Ouïghours exilés.
La Chine n’est évidemment pas la seule ni la première à pratiquer cette forme d’« exportation autoritaire ». L’une des priorités des dictatures a toujours été de contrôler leurs diasporas. Tous les régimes, quelle que soit leur taille ou leur nature, « travaillent » leurs communautés à l’étranger, les espionnent, les cadrent et les recadrent. C’est un des rôles assignés aux missions diplomatiques, aux centres culturels ou cultuels officiels et aux services de renseignements. En novembre dernier, Reporters sans frontières a ainsi dénoncé les pressions exercées par l’ambassadeur d’Iran à Londres sur des journalistes iraniens travaillant pour des médias occidentaux, comme la BBC Persian ou Radio Farda.
Paradoxalement, certains pays démocratiques cautionnent en partie cette ingérence étrangère en accordant des « droits de regard communautaires » aux ambassades, aux services de renseignement ou aux autorités religieuses d’Etats répressifs. Ces dernières années, la lutte contre le terrorisme est devenue l’une des justifications de ces pratiques risquées qui reviennent à sous-traiter des missions sensibles à des pays autoritaires étrangers.
Les diasporas sont clairement des enjeux de la politique nationale et internationale et, pour les Etats les plus brutaux, cette politique de contrôle passe, s’il le faut, par le crime. L’histoire regorge d’exemples d’assassinats perpétrés « outre-mer » au nom de la raison d’Etat. En 1937, des membres de la Cagoule commandités par la police politique mussolienne assassinèrent, près de Paris, les frères Rosselli, fondateurs du mouvement libéral de gauche Giustizia e Libertà. En 1940, un agent de Staline exécuta Leon Trotsky à Mexico.
Dans les années 1970 et 1980, les dictatures latino-américaines, à l’initiative du Chili du général Pinochet, allèrent jusqu’au bout de cette logique répressive externe en mettant sur pied le Plan Condor, une mutualisation de leurs services secrets pour traquer les militants révolutionnaires, mais aussi les dirigeants de partis d’opposition modérés. En 1976, les tueurs allèrent jusqu’à exécuter au coeur de Washington l’ex-ministre des Affaires étrangères de Salvador Allende, le socialiste Orlando Letelier. A Rome, ces porte-flingues blessèrent grièvement l’un des porte-parole de la Démocratie chrétienne chilienne, Bernardo Leighton.
A l’époque de l’apartheid en Afrique du sud, des représentants de l’African National Congress furent eux aussi ciblés à l’étranger: en 1988, Dulcie September fut assassinée à Paris et Godfrey Motsepe échappa de peu à un attentat à Bruxelles. Dans les premières années de la Révolution islamique, des centaines d’opposants iraniens ont été tués à l’étranger, dont l’ancien premier ministre Chapour Bakhtiar, assassiné à Suresnes en 1991, note le Washington Institute for Near East Policy. Après une accalmie sous la présidence Khatami, les assassinats ont repris, ajoute l’Institut. En janvier 2019, les Pays-bas ont accusé des agents iraniens d’être derrière l’assassinat de deux opposants, en 2015 à Almere et en 2017 à La Haye.
Ces dernières années, cette obsession de réduire au silence les voix dérangeantes a fourni des exemples particulièrement choquants. Les empoisonnement d’ex-agents secrets russes au Royaume-Uni, les fameuses affaires Litvinenko et Skripal, dont la responsabilité est attribuée par Londres aux « services » russes, démontrent qu’il n’y a pas que les médecins ou les reporters qui sont « sans frontières ». Les tensions turques s’exportent elles aussi: en 2013, trois militantes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) on été tuées à Paris. Le 2 octobre 2018, le journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi a été assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul. Le Rwanda est lui aussi soupçonné de traquer et de neutraliser ses opposants à l’étranger.

On n’a rien fait. On ne nous fera rien.
Le plus souvent, les Etats incriminés clament qu’ils n’ont rien à voir avec ces crimes, que ceux-ci sont le résultat de luttes fratricides au sein de groupes d’opposants exilés, ce qui est parfois le cas. Ou la conséquence désolante d’initiatives intempestives prises par des éléments dévoyés de leurs appareils de sécurité, ce qui est l’argument saoudien.
Quoi qu’il en soit, dans cet entre chien et loup du terrorisme d’Etat, l’impunité est le plus souvent la règle. Les agents opèrent dans un monde d’opacité et de duplicité. Ils sous-traitent à l’occasion leurs basses besognes à des groupes criminels ou à des escadrons de la mort d’autres pays pour couvrir leurs traces. Parfois même, ils bénéficient de la mansuétude des services secrets des pays où ils commettent leurs crimes. Ainsi, le rôle qu’auraient joué les services français dans la disparition de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en 1965 ou la caution américaine apportée, dans un premier temps, au Plan Condor continuent de susciter de vives controverses.
Régulièrement, des Etats expulsent des agents ou des diplomates pour marquer leur désaccord ou condamnent solennellement ces assassinats. Mais les intérêts économiques ou militaires tendent le plus souvent à prévaloir sur les exigences de justice. Un an et demi à peine après l’assassinat de Jamal Khashoggi, tout est « rentré dans l’ordre »: l’Arabie saoudite a pris la tête du G20 et le rallye Dakar s’y déroule sans accrocs ni remords.


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